Je cherchais le texte allemand de Nietzsche de la fin du troisième livre du Gai Savoir (die fröhliche Wissenschaft), tout ça en fait pour m'apercevoir que la devise que je cherchais à la base se trouvait dans le Crépuscule des Idoles (qui existe en .txt sur le net, très pratique), mais passons.
Je me suis retrouvé au paragraphe 270 en me demandant si je n'allais pas trouver quelque chose dans le texte allemand pour éclairer cette phrase qui se répète autant qu'elle n'est comprise.
On trouve même des contresens en allemand sur la toile, ainsi, ce que l'on répète de fait couramment en français : "du sollst werden, was du bist".
Nietzsche n'écrit pas du tout cela. Ce que P. Wotling traduit par "Tu dois devenir celui que tu es", en mettant une note évoquant un empreint à Pindare, est écrit en allemand "Du sollst der werden, der du bist".
Sans majuscule à werden, qui est bien un verbe, et signifie devenir mais, me semble-t-il, davantage dans le processus que dans le résultat. Cela évoque un passage, une métamorphose, et on pourrait le traduire de plusieurs manière : par exemple devenir, trouver (au sens d'une rencontre vécue de l'intérieur), passer à. Quant à sollen, ce n'est pas un impératif, un mussen, un tu-dois comme Nietzsche les déteste. Sollen renvoie à un devoir qu'il est possible d'ignorer, apprend-on, qui est plutôt une invitation, comme aussi une morale : c'est un impératif qui parle, impératif morale, ce qui fait écho du reste à Kant et son impératif catégorique. C'est du reste ainsi qu'il est reçu généralement : un tu-devrais énoncé par un ami.
Der étant cela, nous avons : "Tu devrais devenir (trouver, passer à) cela". "..., der du bist" : "que tu es".
Et l'on ne trahirait pas du tout la phrase en ajoutant à son début : "Je pense que". Seulement regardons bien : il y a des guillemets, donc déjà quelqu'un, ou quelque chose, qui pense. Et ce n'est pas Pindare, mais Gewissen, la conscience: "dein Gewissen", ta conscience. En style indirect cela aurait donné "Ta conscience dit que tu devrais devenir cela que tu es" (trouver la transformation, entrer dans la métamorphose, qui est la tienne).
Donc ce n'est pas du tout Nietsche qui dit cela ! Pas même besoin du texte allemand pour comprendre cela.
Et que dit Nietzsche ? Nietzsche dit que ta conscience te dit que tu devrais devenir cela que tu es. Mais tout cela, le sollst et le bist, le der et le werden aussi, c'est ta conscience qui le dit, et ta conscience n'est pas Nietzsche, qui se contente de noter ce qu'il voit à la surface, ceci le faisant beaucoup réfléchir, jusqu'à des profondeurs lointaines.
On ne sait pas ce que dit Nietzsche, avec cela, au sens d'un sollen, d'un mussen. C'est qu'il ne dit rien du tout. Lui cherche, et cette observation emmène dans sa recherche, dans son questionnement, dans son étonnement, dans son trouble, et jusque dans sa colère.
Peut-être est-il un peu taoïste sur les bords, le Freddy, en tous les cas il suit une voie, et ne se déporte pas par exemple pour questionner, comme certains philosophes, ou comme un scientifique : qu'est-ce que cette conscience, qu'est-ce qu'elle veut, et pourquoi parle-t-elle comme ça, que veut-elle dire, et que signifie tout ce théâtre ?! Parce que, bon, déjà, ben c'est la conscience qui pose toutes ces questions alors on ne s'en sort pas. Il ne questionne pas la voie non plus, à vrai dire (mais les taoïstes non plus, je crois, et si ce n'est la voie du moins le Tao lui-même), quoique la position d'où il parle ne compte pas pour rien : c'est qu'il suit une voie de métamorphose, er werdet, et ce transport lui offre une vue imprenable sur pas mal de choses, mettant tout un théâtre en abîme.
Ce n'est pas un philosophe au sens d'une autorité encyclopédique, par exemple, mais ce regard aux limites de la philosophie informera bien des disciplines, une grande partie des sciences humaines (la psychanalyse, mais aussi la sociologie, l'anthropologie, etc.), dans son caractère embarqué, pratique, vivant, pensant plus que réfléchissant (ce n'est pas lui ni sa conscience qu'il réfléchit, ce sont les autres et le monde).
A le lire pour nous-mêmes, et non au regard d'un apport quelconque à quelque champ, nous lisons ce que dit notre conscience. Le dit-elle ? Parfois j'en ai le sentiment, et encore c'est quand je me sens particulièrement bien, au point que cela forme des journées que je mettrais volontiers, comme beaucoup, sous le signe de Nietzsche. Mais lui ne dit pas ça, il montre : "Regarde, Dug'nou ! C'est ta conscience qui dit ça."
Et libère du même coup le regard, et avec lui les sensations, les perceptions, les images, les représentations..., de la conscience. Et plane peut-être même l'ombre d'un doute au sujet de cette dernière : si elle dit ce qu'elle dit, ne serait-ce pas qu'elle ne sait comment pratiquement le mettre en oeuvre ? En tous les cas un doute, au sens scientifique du terme, une indécision, plane à son sujet.
Et qui veut recevoir la bénédiction de Nietzsche en tant que bon chien-chien à son maî-maître ne sait toujours pas où donner de la truffe. On ne rejoint Nietzsche qu'au-delà des mots, et bien souvent ce qui nous tient alors compagnie n'est qu'une simple projection, un trompe-l'oeil formé pour nous faire croire à l'aspect tangible, réel, confiant, du lieu où nous nous trouvons.
Mais ce n'est pas grave. Pour ma part, quand je ne vais pas bien, j'emmerde Nietzsche, et quand je vais bien, je prends plaisir à marcher à ses côtés (de lui ou de son simulacre), sans toujours rechercher l'accord avec lui. Peut-être tout simplement met-il en confiance d'être sur, dans, une voie (ce qui se lit chez un Hesse, zum Beispiel), apprend-il, comme dirait Deleuze, à rester aux aguets.
Et la conscience, pour se perpétuer dans son être, comme dirait Spinoza, s'asseoit sur des trucs qui n'existent pas. Psychanalysé, ce n'est pas là qu'il fallait chercher.
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