lundi 26 octobre 2009

Altérité

Il est assez rare de voir dans la rue défiler des gens scandant des « nous ne voulons pas des gens différents ! », « merde merde merde ! merde à l’altérité ! », « allochtones : alterchtones ! », « in-dif-fé-rents à la dif-fé-rence eeeet un, dans l’avion, et les autres en prison eeeet in-dif-fé-rents etc. », et autres « beur, tu nous fais peur, tu n’auras pas notre beurre ! ».

Au point que cela n’existe que dans la tête des intellos gauchistes, n’est-ce pas, qui se permettent des interprétations sur la base d’un certain mépris pour les gens pas comme eux et gentiment racistes, qui se lèvent tôt, travaillent plus, répondent à la question du match par sms, etc. etc.

Si bien que ces images finissent par créer des représentations qui se suffisent à elles-mêmes, loin de toute réalité humaine. Et qu’une rencontre avec l’altérité est encore une fois ratée. Ce n’est pas facile les rapports avec ceux que l’on ne supporte pas. En voilà un sujet qu’il est intéressant.

mercredi 16 septembre 2009

Ils ne se suicidèrent pas tous mais tous s'étaient touchés. Remarques anodines d'un participant qui était aussi un sociologue.

Je comptais éteindre la télé, après l’heureuse découverte des Yes Men puis le second but d’Inzaghi, quand en deux coups de zapette je suis tombé sur l’émission C dans l’air, que je ne regarde jamais, qui empreinte ses codes en partie à Delarue et au dispositif proposé par Tobie Nathan en ethnopsychiatrie.

Il ne manque que le patient, mais justement, il le manque. Quand est-ce qu’une émission l’intègrera autour de la table ? Le sujet était le suicide au travail, et il y avait là un sociologue (Henri Vacquin, sans doute un fumeur de pipe à qui la fumée manquait, une sorte de cliché du sociologue : passionné, pas toujours très bien informé, qui bidouille sur fond d’idéologie en parlant beaucoup pour dire autant que les autres et avec forces mouvements de bras dans tous les sens), une psychanalyse et quelque chose judiciaire blonde, une médecin du travail au nom français mais aux pointes d’accent espagnol ou portugais ou elle avait trop le trac à chaque fois qu’elle parlait, et un syndicaliste de SUD PTT travaillant à France Télécom qui semblait se remettre d’un œil au beurre noir. Une belle équipe de bras cassés (à part la blonde), pour dire ce qui, du côté gauche est évident, mais qu’il fallait dire quand même (si du côté droit ils se mettaient à dire leurs évidences en rognant autant sur leurs idéologies, ce serait une révolution).

J’ai commencé à regarder ça et je n’ai pas décroché, bien installé les écouteurs sur les oreilles et les pieds gelés, sans pouvoir ni gueuler à la moindre intervention ni allumer une clope.

Il a été à un moment question des sous-traitants, comme toute l’émission tournait autour de France Télécom, ce qui est tout de même le charnier du moment (à quand le TPI, n’est-ce pas). Pour dire que pour eux c’était, et bien… vraiment très dur. D’ailleurs le sociologue était d’accord, mais oui, évidemment, d’ailleurs il en connaissait une bien bonne à ce sujet parce que lui où il travaille, etc. Un véritable homme de secte, ce brave homme touchant et sympathique, mais dont c’est à nous de faire l’effort de comprendre ce qu’il dit au fond, dans sa réaction à tous les hameçons qui passent avant de mettre cinq minutes de blabla en apnée à sortir son propos souvent un peu décalé, parfois critique, sinon dialectique. Vu comment les sociologues sont doués en communication, on comprend maintenant pourquoi il n’y a pas plus de suicides dans la profession : faute de trouver du travail, ils font autre chose.

J’ai travaillé presque un an chez un sous-traitant, l’un des plus gros du marché, Téléperformance, pour le compte du service client d’SFR. L’ambiance était plutôt bonne enfant et remplie de congés maladie, de retards et d’absences. L’entreprise semble recruter parmi les étudiants, mais d’abord dans la population type immigré(e) de banlieue de xe génération à bac +2. Des gens un peu sans culture sinon celle du sport et du portable, susceptibles de répondre aux « challenges » où il y a à gagner, au terme d’une lutte acharnée contre ses collègues qui est sensée faire bondir les gains de productivité pour un coût ridicule, des ipods et des places de cinéma, des DVD et aucune place à l’opéra ni de bons d’achat chez Decitre. Des gens qui, s’ils ne travaillent pas là depuis assez longtemps (sinon ils sont plutôt déprimés, du moins blasés), se reconnaissent assez dans le libéralisme comme le modèle qu’on leur vend depuis tout petit dans l’ambiance de la Part Dieu qu’ils fréquentent les fins d’après-midi et les samedis, et dans lequel ils ont enfin la possibilité d’entrer.

La situation de travail est idéale, avec vue sur le parc de la Tête d’Or, il y a des pauses régulièrement (qu’il faut savoir connaître, toutefois), et tout le monde est tellement largué qu’il y a largement la place pour prendre les choses à son compte dans le petit cadre de son petit travail, par exemple, contrairement à ce qui a été dit de France Telecom où ils seraient obligés de lire leur prompteur, d’employer la voix et le ton qui sont les nôtres (il y en a toujours pour agir comme ils croient qu’on leur demande d’agir).

Je faisais ce que je voulais, je résolvais tous mes dossiers, les clients commençaient en m’insultant presque et terminaient en me demandaient comment me féliciter auprès de la direction d’SFR (sic), et j’étais le premier de mon équipe haut la main ; ça, c’était en novembre-décembre, à mi-parcours.

Parce que ça n’a pas duré. La technique de management est complètement pourrie. Elle semble consister à laisser les gens se démerder en leur faisant confiance tout en instaurant un cadre rigide de stress et de concurrence latents. Ce qui se passe, c’est que, si on fait bien son travail, il n’y a aucune considération, ni plus, ni moins, simplement les primes qui sont prévues tombent chaque mois (un peu plus d’un dixième du salaire), rien de plus : ou plutôt, la seule gratification est qu’on nous fout la paix (quand je faisais gagner des primes à mon supérieur, personne ne venait me reprendre pour mes retards, par exemple). Ce qu’on nous apprend, c’est ce qui ne marche pas, sans jamais chercher d’autres modèles (cela a été prévu un temps, mon exemple, que personne n’a semble-t-il remarqué, marchait plutôt très bien, et ce qui était dit allait en ce sens).

Ceux qui dirigent se repèrent en fonction de représentations toutes faites. Et ça, c’est une catastrophe. Parce que ce ne sont ni des bons dirigeants, ni des bons créateurs. Le truc de base, c’est la tête des gens, la tête des gens c’est fondamental, on voit tout de suite, à leur tête, s’ils feraient qui un bon téléopérateur, qui un bon chef d’équipe, etc. (en fait ça s’arrête presque là, on est tous dans la même merde dans ces endroits-là). C’est bien pour qui a de bonnes lunettes, sauf que ce n’était pas le cas du tout, leur espace où ils avaient leurs repères étant l’espace fictionnel d’une entreprise moderne du secteur, une sorte de monde idéal qui fonctionne certes théoriquement, mais sans remplir les critères. Du coup ils durcissent et ça se passe encore plus mal.

La seule fois où j’ai vu un boss sur un plateau, je ne savais même pas que c’était un boss. Il m’a parlé comme à une merde, ce mélange dégueulasse de domination crasse et d’infantilisation. Je ne suis plus jamais revenu, deux mois plus tard j’ai envoyé ma lettre de démission. C’est comme s’ils cherchaient la rupture et, la rupture effective, ils s’estiment maîtres de la situation dans le sens suivant : ils avaient dit que ça n’allait pas, la rupture effectuée montre qu’ils avaient bien raison. Ces gens ne cessent pas un instant de croire avoir raison, ils s’enferrent dans leur connerie et leur prétention.

Le truc, c’est que SFR a annoncé cet été que le contrat avec Téléperformance, qui s’achève en 2010, ne serait pas renouvelé. J’en suis sûr que, au moins pour eux-mêmes, sinon au sein de l’entreprise, ils vont rejeter la faute sur les téléopérateurs, auxquelles il n’y a que deux trois choses à reprocher : 1) ne pas connaître suffisamment ce qui peut aider le client parce qu’on ne leur a pas appris, il faut chercher soi-même alors même qu’on leur fait sentir qu’ils ne doivent pas sortir de leurs clous, 2) manquer parfois de volontarisme et d’implication pour résoudre des problèmes et hésiter à aller à l’encontre de ce qui est prévu et autorisé qu’ils fassent, 3) d’une manière générale, comme toute notre génération sans doute, manquer de volontarisme, tellement on nous répète et on a le sentiment d’être dans des dispositifs dirigistes et autoritaires, protecteurs et infantilisants, où il n’y a qu’à faire ce qu’on nous dit de faire pour que tout fonctionne, où on profite de la moindre occasion pour prendre la tangente faire les branleurs (sauf si on souhaite aider ceux pour qui on est là, en l’occurrence les clients, qui pour un certain nombre d’entre eux ne le méritent même pas.

Je ne sais pas comment font ceux qui travaillent là depuis des années (en fait le site n’a maintenant que deux ans). Les démissions pleuvent constamment, mais ceux qui s’accrochent ? Ceux pour qui ce n’est pas un petit job exotique d’étudiant ? Pour ma part, j’aurais ressenti, je pense, une grande tension, métaphoriquement une grande douleur dans le bras qui tient le couteau, dirigé tantôt vers moi, tantôt vers ces boss incompétents. Le jour où je suis parti il y avait le chef des petits boss (le supérieur de mon supérieur) derrière moi, un mec très gentil, l’un des rares humains de la boîte et sans regarder le travail de biais, j’avais rangé mes affaires, prêt à partir sur le champ, avec des larmes de colère, il m’a fait rester jusqu’à la fin de mon temps de travail mais je ne suis pas revenu ; partir en faisant abandon de poste, ou bien sauter à la gorge de ce connard, ou bien tenter de faire circuler des mots totalement inexistants dans cette entreprise, ou bien garder tous mes mots pour moi seul (parce que les collègues comprennent, d’accord, mais ça ne fait circuler que les mots, de parler avec eux, et encore), que faire ? Ce ne sont pas les envies de tout casser qui ont manqué, pourtant.

En allant chercher ma feuille Assedic, il y a quelques semaines (j’ai croisé des collègues venant récupérer la leur, au passage), on m’a annoncé ce contrat non reconduit pour 2010, et j’étais heureux. J’avais envie de rire très fort pour faire résonner tout l’immeuble, mais bon, je m’en foutais, c’était loin maintenant. C’était une sorte de ruine, et le mec de la sécurité, de son point de vue (et travaillant pour une autre boîte), trouvait que tout allait à vau-l’eau.

C’est typiquement une entreprise où ceux qui ont leur mot à dire croient tout savoir et n’avoir besoin de personne. C’est typiquement une entreprise où il y aurait vraiment besoin d’un sociologue, qui s’occuperait de faire circuler la parole, de mettre chacun en perspective avec ses représentations, d’effectuer un gros boulot de traduction entre les différentes positions au sein de l’entreprise, d’analyser les dispositifs de mesure et de proposer des solutions à leur sujet ; comme les médecins de France Télécom, libres à eux d’accepter de faire partie ou non des plans pro-suppressions de postes s’il y en a (beaucoup démissionnent ces temps-ci), mais là, pour le coup, ce n’était pas le cas et les objectifs étaient vraiment facilement accessibles.

Il ne faut pas se leurrer : quand ça ne va pas, la seule solution, c’est un bon sociologue. Pour ma part, courant février j’ai cru avoir la grippe, trois jours au lit à ne pas pouvoir bouger, mais le médecin, un vrai, avec le Coran dans la vitrine, les conseils paternalistes au patient et les conseils machistes à sa copine et tout, a dit que c’était une grosse asthénie, maladie qui fait sans doute partie du panel dont il a été question évasivement dans l’émission. A part ça, je crois qu’au bout d’un moment j’aurais vraiment pété un câble et au moins piqué une grosse colère ; mais je n’aurais jamais pensé être malade d’une telle fatigue pour un boulot de merde (et en plus à mi-temps !), alors…

vendredi 11 septembre 2009

Le droit à l'interaction

Les anglais ont lancé un dispositif sensationnel. A partir du 12 octobre 2009, toute personne en contact avec des enfants et des personnes âgées ou vulnérables, devra payer 64£ (73€) pour être fichée dans la base de données de l’Independant Safeguarding Authority (ISA). Une enquête de ses antécédents sera faite par l’ISA, qui lui délivrera ou non la possibilité de travailler au contact desdites personnes.

L’enquête vérifiera les traces sur Internet (Facebook, blogs, forums, etc.), les déclarations d’anciens collègues et employeurs, de même que de membres du public, y compris des « témoignage[s] pas spécifiquement relié[s] à aucun évènement particulier » (belle tournure de phrase). De plus, d’autres critères sont pris en compte, comme : souffrir de « solitude émotionnelle sévère », avoir des « liens avec des asociaux », un mode de vie « impulsif, chaotique ou instable », ou encore avoir « recours à des substances ou au sexe pour faire face au stress ». Si deux critères au moins sont positifs, l’ISA ne délivrera pas l’autorisation de travail.

Il faut vivement souhaiter qu’en France de telles mesures soient prises. Venant du bon sens le plus avéré, il faudrait cependant les ajuster quelque peu, comme elles manquent singulièrement de précision et risquent de laisser passer, d’un côté comme de l’autre des populations visées, certaines catégories de population.


Ainsi, le dispositif devrait être ouvert aux personnes selon deux critères supplémentaires :

- Tout auteur, producteur, diffuseur, de produits culturels à destination des populations sensibles.

- Toute personne susceptible de se rendre, le temps d’une pause cigarette, soit environ cinq minutes, à pied, en transport en commun, à vélo, en voiture ou à cheval, de son domicile ou de son lieu de travail jusqu’à un lieu recevant collectivement des populations sensibles.


La population sensible contiendrait les catégories de population suivantes :

- Les moins de 18 ans ;

- Les plus de 70 ans ;

- Les titulaires d’une carte d’handicapé ;

- Les femmes enceintes ;

- Les SDF ;

- Les prisonniers ;

- Les personnes hospitalisées ;

- Les personnes souffrant d’une maladie grave ;

- Les immigrés en situation irrégulières ;

- Les immigrés en situation régulière ne pouvant justifier officiellement de leur maîtrise de la langue française.


Parmi la population visée par le dispositif, seraient incluses d’office les catégories de population suivantes :

- Toute personne entrant en contact, dans son cadre professionnel, avec l’une au moins des catégories de population précitées, sans considération de durée ni de fois.

- Les anciens détenus et toute personne au casier judiciaire non vierge ;

- Les personnes ayant fait l’objet d’un signalement aux forces de l’ordre ou à la justice en relation directe ou indirecte avec l’une au moins des catégories de population précitées ;

- Les personnes ne possédant pas de téléphone portable ;

- Les personnes ne possédant pas la totalité des points de leur permis de conduite ;

- Les personnes homosexuelles, bisexuelles, transsexuelles, transgenres et ambiguës ;

- Les personnes non reconnues par une religion, ou Eglise, officiellement reconnue par le Gouvernement ;

- Les personnes affiliées ou ayant été affiliées à un parti de gauche, à l’exception du Parti Socialiste, ou connues par leur entourage immédiat ou non-immédiat pour avoir tenu, sans considération de durée, de localisation ni de teneur précise du propos, des propos sympathisants à l’égard de l’un au moins des partis de gauche à l’exception du Parti Socialiste ;

- Les personnes affiliées ou ayant été affiliées aux syndicats SUD ou FO, ou connues par leur entourage immédiat ou non-immédiat pour avoir tenu, sans considération de durée, de localisation ni de teneur précise du propos, des propos sympathisants à l’égard des syndicats SUD ou FO ;

- Les personnes abonnées à un établissement public tel que les stades, les opéras, etc. ;

- Les personnes fréquentant dont il sera prouvé qu’elles fréquentent, ou ont fréquenté, des débits de boisson titulaires de la licence IV au moins trois fois en une semaine ;

- Les personnes immigrées en situation irrégulière ;

- Les personnes immigrées en situation régulière ne pouvant justifier officiellement de leur maîtrise de la langue française.

- Les habitants des communes dont la mairie est occupée par un maire ou une majorité de gauche, à l’exception du Parti Socialiste.


A terme, ce certificat, délivré sous forme de carte (une carte électronique détectable à distance par les autorités) à ranger dans son portefeuille et à garder constamment sur soi, devrait être requis également en dehors du contexte de travail.

Il s’agirait pour les autorités de faire rien moins que leur devoir : être garantes des interactions, réelles et surtout virtuelles, au sein de leur juridiction.

Le droit à l’interaction, qui sera inscrit sous peu dans la Constitution, est un droit qui, comme tout droit d’ailleurs (sur le bienheureux modèles des droits accordés par les parents à leurs enfants sous réserve bien sûr qu’ils aient le droit à une telle interaction), demandera à être accordé.

Pour ce faire, les gens nous (Autorité Publique) demanderont le droit à l’interaction, et nous payeront pour mener l’enquête qui en décidera, suivant en cela toutes les procédures que nous avons mises en place.

C’est ainsi que nous serons garants de votre bonheur. Et de votre sécurité, bien sûr.

En partenariat avec Apple et Microsoft, Google, Facebook, les opérateurs de téléphonie fixe et mobile et internet, ainsi que les banques et les assurances autorisées en notre pays, la France-UMP-SA-CLUB vous souhaite une agréable vie et espère revoir bientôt vos impôts dans ses caisses.

mercredi 9 septembre 2009

La Nietzschette inillustrée. Nietsche te montre que ta conscience dit que tu devrais enfin passer à ce que tu es.

Je cherchais le texte allemand de Nietzsche de la fin du troisième livre du Gai Savoir (die fröhliche Wissenschaft), tout ça en fait pour m'apercevoir que la devise que je cherchais à la base se trouvait dans le Crépuscule des Idoles (qui existe en .txt sur le net, très pratique), mais passons.

Je me suis retrouvé au paragraphe 270 en me demandant si je n'allais pas trouver quelque chose dans le texte allemand pour éclairer cette phrase qui se répète autant qu'elle n'est comprise.

On trouve même des contresens en allemand sur la toile, ainsi, ce que l'on répète de fait couramment en français : "du sollst werden, was du bist".

Nietzsche n'écrit pas du tout cela. Ce que P. Wotling traduit par "Tu dois devenir celui que tu es", en mettant une note évoquant un empreint à Pindare, est écrit en allemand "Du sollst der werden, der du bist".

Sans majuscule à werden, qui est bien un verbe, et signifie devenir mais, me semble-t-il, davantage dans le processus que dans le résultat. Cela évoque un passage, une métamorphose, et on pourrait le traduire de plusieurs manière : par exemple devenir, trouver (au sens d'une rencontre vécue de l'intérieur), passer à. Quant à sollen, ce n'est pas un impératif, un mussen, un tu-dois comme Nietzsche les déteste. Sollen renvoie à un devoir qu'il est possible d'ignorer, apprend-on, qui est plutôt une invitation, comme aussi une morale : c'est un impératif qui parle, impératif morale, ce qui fait écho du reste à Kant et son impératif catégorique. C'est du reste ainsi qu'il est reçu généralement : un tu-devrais énoncé par un ami.

Der étant cela, nous avons : "Tu devrais devenir (trouver, passer à) cela". "..., der du bist" : "que tu es".

Et l'on ne trahirait pas du tout la phrase en ajoutant à son début : "Je pense que". Seulement regardons bien : il y a des guillemets, donc déjà quelqu'un, ou quelque chose, qui pense. Et ce n'est pas Pindare, mais Gewissen, la conscience: "dein Gewissen", ta conscience. En style indirect cela aurait donné "Ta conscience dit que tu devrais devenir cela que tu es" (trouver la transformation, entrer dans la métamorphose, qui est la tienne).

Donc ce n'est pas du tout Nietsche qui dit cela ! Pas même besoin du texte allemand pour comprendre cela.

Et que dit Nietzsche ? Nietzsche dit que ta conscience te dit que tu devrais devenir cela que tu es. Mais tout cela, le sollst et le bist, le der et le werden aussi, c'est ta conscience qui le dit, et ta conscience n'est pas Nietzsche, qui se contente de noter ce qu'il voit à la surface, ceci le faisant beaucoup réfléchir, jusqu'à des profondeurs lointaines.

On ne sait pas ce que dit Nietzsche, avec cela, au sens d'un sollen, d'un mussen. C'est qu'il ne dit rien du tout. Lui cherche, et cette observation emmène dans sa recherche, dans son questionnement, dans son étonnement, dans son trouble, et jusque dans sa colère.

Peut-être est-il un peu taoïste sur les bords, le Freddy, en tous les cas il suit une voie, et ne se déporte pas par exemple pour questionner, comme certains philosophes, ou comme un scientifique : qu'est-ce que cette conscience, qu'est-ce qu'elle veut, et pourquoi parle-t-elle comme ça, que veut-elle dire, et que signifie tout ce théâtre ?! Parce que, bon, déjà, ben c'est la conscience qui pose toutes ces questions alors on ne s'en sort pas. Il ne questionne pas la voie non plus, à vrai dire (mais les taoïstes non plus, je crois, et si ce n'est la voie du moins le Tao lui-même), quoique la position d'où il parle ne compte pas pour rien : c'est qu'il suit une voie de métamorphose, er werdet, et ce transport lui offre une vue imprenable sur pas mal de choses, mettant tout un théâtre en abîme.

Ce n'est pas un philosophe au sens d'une autorité encyclopédique, par exemple, mais ce regard aux limites de la philosophie informera bien des disciplines, une grande partie des sciences humaines (la psychanalyse, mais aussi la sociologie, l'anthropologie, etc.), dans son caractère embarqué, pratique, vivant, pensant plus que réfléchissant (ce n'est pas lui ni sa conscience qu'il réfléchit, ce sont les autres et le monde).

A le lire pour nous-mêmes, et non au regard d'un apport quelconque à quelque champ, nous lisons ce que dit notre conscience. Le dit-elle ? Parfois j'en ai le sentiment, et encore c'est quand je me sens particulièrement bien, au point que cela forme des journées que je mettrais volontiers, comme beaucoup, sous le signe de Nietzsche. Mais lui ne dit pas ça, il montre : "Regarde, Dug'nou ! C'est ta conscience qui dit ça."

Et libère du même coup le regard, et avec lui les sensations, les perceptions, les images, les représentations..., de la conscience. Et plane peut-être même l'ombre d'un doute au sujet de cette dernière : si elle dit ce qu'elle dit, ne serait-ce pas qu'elle ne sait comment pratiquement le mettre en oeuvre ? En tous les cas un doute, au sens scientifique du terme, une indécision, plane à son sujet.

Et qui veut recevoir la bénédiction de Nietzsche en tant que bon chien-chien à son maî-maître ne sait toujours pas où donner de la truffe. On ne rejoint Nietzsche qu'au-delà des mots, et bien souvent ce qui nous tient alors compagnie n'est qu'une simple projection, un trompe-l'oeil formé pour nous faire croire à l'aspect tangible, réel, confiant, du lieu où nous nous trouvons.

Mais ce n'est pas grave. Pour ma part, quand je ne vais pas bien, j'emmerde Nietzsche, et quand je vais bien, je prends plaisir à marcher à ses côtés (de lui ou de son simulacre), sans toujours rechercher l'accord avec lui. Peut-être tout simplement met-il en confiance d'être sur, dans, une voie (ce qui se lit chez un Hesse, zum Beispiel), apprend-il, comme dirait Deleuze, à rester aux aguets.

Et la conscience, pour se perpétuer dans son être, comme dirait Spinoza, s'asseoit sur des trucs qui n'existent pas. Psychanalysé, ce n'est pas là qu'il fallait chercher.

vendredi 4 septembre 2009

Storytelling : la pomme californienne mise à la masse par un produit transfuge de l'URSS

(Article du Monde sur l'entreprise d'appareils photos Lomo)

Il y a une chose que je n'ai toujours pas comprise, malgré les deux pages de l'article, c'est comment on peut faire des photos en argentique et les tirer à l'envie sans se préoccuper à aucun moment du résultat. A quel endroit se situent les procédures de développement ? Et c'est gratuit que tout à l'air si merveilleusement simple ?

Où sont passés les journalistes, qui désormais transmettent les histoires commerciales avec une joyeuse empathie ?

Derrière le kitsch, l'actionnism, mai 68... bref, toute une panoplie marketing version storytelling, n'y a-t-il pas plus simplement une distinction branchée sur des comptes en banque bien approvisionné ?

Parce qu'enfin plus qu'en espace démocratique où n'importe quelle photo peut exister comme ce serait l'oeuvre collective qui vaudrait plus que l'oeuvre individuelle, je ne pense pas qu'il faille chercher si loin, dans une totale nouveauté de fond en comble. Ils ont déplacé le signe signifiant, important, du fond vers la forme, celle-ci n'étant par ailleurs pas aux mains des utilisateurs, mais donnée par l'instrument technique ; de plus, n'importe quel cliché, du fait seulement qu'il soit produit par cette technique, ayant le droit d'exister, il faut bien payer pour cela, ce n'est pas du numérique cable usb et sélection au clic. Il n'est pas spécialement question d'oeuvre collective, plutôt d'indifférenciation au profit de la seule fascination pour un objet technique (à cet égard Lomo emprunte beaucoup à la facilité d'utilisation, et donc la "démocratisation", valorisée par le numérique). L'objet technique fait signe, la reconnaissance se fait sur ce signe : tous égaux dans la capacité d'appuyer sur le déclencheur. Coup remarquable de marketing qui répond à une question de fond du marketing contemporain, empruntée jusqu'aux domaines des sectes, de la politique et du rock : comment établir une place commerciale, et sur laquelle se tiendraient plusieurs millions d'adeptes ?

Pour avoir loyalement diffusé la belle histoire, j'espère au moins que le journaliste du Monde s'est fait rémunérer par l'entreprise.

jeudi 20 août 2009

Aujourd'hui, Hadopi enlève le haut (sa version US)

Un américain va se retrouver à payer 675 000 dollars, qui risquait d'en payer 4,5 millions, pour avoir télécharger de la musique illégalement. Enormément de morceaux, à vrai dire, la discothèque du monde dans son ensemble : 30 titres ! Un mois plus, c'est 1,92 millions de dollars qu'une américaine du verser pour... 24 morceaux ! L'article (lemonde.fr) ne dit pas quels étaient les morceaux téléchargés.


C'est tout de même extraordinaire. Je crois qu'on peut difficilement faire plus rentable. On a là la collusion extrême entre ceux qui apportent les capitaux dans l'industrie (les capitalistes), les pouvoirs publics (qui financent tout le dispositif de suivi et de poursuites) et le système judiciaire. La situation est celle-ci : comme dans d'autres domaines, et autrement (par exemple les subventions aux agriculteurs), l'Etat soutient les capitalistes en leur assurant des revenus supérieurs à ceux du marché.


L'astuce est de prendre les artistes comme bouclier, puisque dans l'idéologie de la loi ce sont surtout eux qui sont censés bénéficier des peines. Le citoyen, jugé délinquant, ou avec ces sommes-là je crois qu'on peut dire criminel, est la souce de ces revenus inespérés. Quand on sait les avantages, en termes de diffusion, de notoriété et d'image, que procurent les téléchargements dits illégaux, c'est-à-dire en dehors de revenus directs, sonnants et trébuchants, par le biais des seuls dispositifs mis en place par les producteurs et diffuseurs, on se dit que c'est vraiment cher payé. L'enjeu n'est donc pas là : comment se fait-il donc que personne ne s'étonne de telles sommes ?


C'est que c'est le système libéral lui-même qui se met en scène, et sur une scène victimaire, la création en signe identitaire, et ceux qui "bénéficient" de ces créations en bouc-émissaires/bourreaux. Je mets des guillemets parce que bénéficier de créations dans le système libéral, ce n'est pas du tout, par exemple, les comprendre, en puiser la sève, s'en servir pour d'autres créations : non non, c'est tout simplement les user, les consommer.


Toute l'idéologie de la loi Hadopi telle qu'elle nous a été présentée, et les conséquences pratiques de la loi équivalente aux Etats-Unis, est biaisée. Puisqu'elle se garde bien de dire tout ceci à propos du système libéral-capitaliste. A la place, elle dit : les artistes sont floués.


Soit. Si c'était vraiment le cas, il serait bien plus juste, dans une société soucieuse de... la société justement, de son ensemble, du bien commun, et non des intérêts de particuliers (surtout de ceux, à vrai dire, qui amènent les capitaux industriels : ceux pour qui un disque ou un morceau de musique n'est pas une création, voyez-vous, mais un produit), de procéder au paiement d'une dette, puisque c'est l'idée de fond exprimée par l'idéologie que le téléchargeur contracte une dette auprès des artistes, par le biais d'un dispositif sociétal (comme la justice).


Un artiste ne doit pas toucher 10% sur le prix d'un disque, donc pourquoi ne pas réclamer la somme du prix du marché au téléchargeur, à payer directement à l'artiste ? Toute cette loi repose uniquement sur du symbolique, donc pourquoi ne pas répondre par du symbolique ? En dehors de cela le système libéral capitaliste se met à nu, en nous vendant des idéologies grossières (l'idéologie devenant : histoire mythique servant les intérêts d'un groupe particulier en opposition à d'autres groupes qui doivent croire et accepter cette histoire).


"A l'audience, lorsqu'on lui a demandé s'il regrettait d'avoir téléchargé de la musique illégalement, Joel Tenenbaum avait refusé de répondre, jugeant la question "biaisée". "Je ne regrette pas d'avoir bu de l'alcool alors que je n'avais pas l'âge légal quand j'étais à la fac, même si je me suis fait attraper plusieurs fois", a-t-il ajouté." (article du monde.fr)


Je trouve sa réponse biaisée à son tour, d'autant qu'il se place dans un contexte (l'alcool) déjà stigmatisé comme délinquant. Mais c'est l'être aussi, dans ce monde, que de remettre en cause les idéologies des groupes dominants, et surtout de cet ordre qui se sert de la création pour non seulement justifier une industrie, mais en plus engranger, avec la bénédiction des pouvoirs publics (exécutif, législatif et judiaiciaire, toujours main dans la main sur les questions de fond), des bénéfices supérieurs à ceux du marché, donc en plus dans une délinquance masquée à l'égard de leur fonctionnement avoué.


Il faudrait proposer une autre "idéologie", d'autres histoires en tous les cas, et d'autres lois. Et comment compter sur une opposition qui n'en a même pas conscience, qui croyant encore devoir faire dans la critique ne se tourne pas vers l'innovation, la création, l'élaboration, d'un autre monde, mais se torture à tour à tour croire et ne pas croire dans les idéologies qui nous sont servies, en se posant de simples questions morales à leur sujet ainsi que des prêtres, en ne voyant pas plus loin qu'un vague ajustement des dispositifs et des mythes existants ?


Comment ne pas inciter à la délinquance avec des pratiques délinquantes aussi ouvertement monstrueuses ?

samedi 15 août 2009

Grippe A et ethnologie


Je ne peux m'empêcher de mettre en lien cette possible dévastation avec des projets comme celui du Branly, qui consistent en l'expansion acritique de l'effort de guerre occidental moderne.

La constitution des premiers musées d'ethnologie n'est pas étrangère au projet colonial. De l'un à l'autre, ce n'est que l'évolution de cette "civilisation" qui se laisse lire, dans ses tendances autoréférentielle et expansionniste-globalisante.

Où l'abord des marges externes réelles est stratégie pour les transformer en marges internes imaginaires.

jeudi 30 juillet 2009

La fin de la fin

La fin (de l’art, etc.) n’est pas la fin. La fin, dire « la fin », c’est enregistrer le changement. Celui du donné spatio-temporel de quelque chose dépassant ce segment.

C’est la dire de telle manière que s’installe une dialectique entre le changement de cette chose sur ce segment c'est-à-dire finalement de ce segment lui-même (par ex. la France d’après-guerre, l’Europe chrétienne depuis le 18e s., etc.) et la fin au sens trivial, littéral, de cette chose même.

Et de telle sorte, qui plus est, que cette chose et ce segment semblent liés d’une façon structurelle, naturelle.

Telle période à telle endroit finit par péter plus haut que son cul mais justement dans un concours de pétomanes pour :

se constituer comme culture ;

faire haro sur ce qui fantasmatiquement prend fin (par ex. l’art quelle blague au moins le faire croire à ses habitants : c’était mieux avant et y a plus rien maintenant, ma p’tite dame) ;

par cet accaparement occuper une situation de domination à l’égard des autres segments (avant ou après, ici ou ailleurs) par ce qui ‘‘prend fin’’ : sur ceci partout et tout le temps, et, dans le temps présent, s’installer comme le pôle dominant, le plus influent (ceci mis en évidence par la spectacularisation de sa fin même).

Plus perversement encore, prendre en compte et en charge telle fin, c’est déjà composer l’après-fin, donc déjà se positionner pour dominer ce qui suivra, s’en révéler (encore) comme, en son temps, le lieu.

Saupoudrez cela d’un zeste de déni et de critique du Progrès et vous obtiendrez la fin de la fin : un truc tout à fait stratégique.

mercredi 29 juillet 2009

Ville et campagne ─ simulation et simulacre

Les barbecues au B. me manquent, et je repense à ce que te disais A. sur Paris, la ville qui étouffe.

Ce qui manque le plus, en ville, mais cela vient peut-être du fait de ne connaître personne, est le manque de réel sans cesse présent en dehors du vide et de l’angoisse, rarement absents.

La nature crée un sentiment du réel, qui peut amener des gens ne se connaissant pas à une relation « vraie » sans plus de détour, juste comme ça, suivant ce qui se donne.

A la ville au contraire mille détours, et on met les masques en premier et l’on ne sait pas s’en débarrasser, la convenance prend ainsi plus de place qu’il n’en paraissait.

C’est qu’en ville il faut se tenir. Ce n’est que ça, la ville. Parfois même le sentiment que toute conduite en relève, même un bourrage de gueule. Une sorte de film dont ‘‘vous êtes le héros’’. Les vertiges citadins sont ainsi très fréquents.

Ne plus arriver à se présenter, en ville, ou à tenir debout, sont des maux impérieux. A la campagne c’en sont d’autres, comme un réel qui engloutirait, sorte de sable mouvant, ou bien des moments vécus qui vont trop loin, emmenés par le contexte (des violences, des horreurs, rien n’y est impossible) sur ce chapitre la violence citadine se dit chez Haneke : tirer sur les gens pour rien, bombes qui explosent, ou simples tromperies dues à une perversité de l’image de soi.

Un relent de faux et de redoublé pèse sur la ville. L. était citadine, jouant à merveille me semblait-il sans cesse des miroirs, des symboles, des coïncidences, dans une séduction, dans une danse, perpétuelle. Jusqu’à ce que le spectacle soit fini, qu’il s’épuise ou se troue. C’est le spectacle qui tient lieu de réel, en ville. On souhaite un bon spectacle.

Les poètes écrivent à la campagne mais la culture, toujours dans la perspective de l’industrie qui en porte le nom, naît en ville. La campagne produit, demande, recèle, un autre réel, qui est de participation et de vérité : vérité des liens, des mots, des actes. Il n’y a pas de spectacle veut dire ici : pas de miroirs, d’enseignes publicitaires qui font signes, de lampadaires qui organisent l’éclairage artificiel, de nouveaux vêtements pour se donner un nouveau rôle.

Le ‘‘spectacle’’ à la campagne est sans médiation spéculaire. Participation, c'est-à-dire : ‘‘spectacle’’ des éléments mis en jeu seul. Je mets des guillemets car c’est un spectacle, mais pour nul spectateur, d’ailleurs il n’y en a pas (à moins que des participants restent en retrait, comme en ville on peut n’être, ne se sentir, que figurant) ; et ce n’est pas vécu comme spectacle.

En ville des médiations et des interactions, une société. A la campagne des instruments et des actions de groupe, une communauté.

En ville on met des miroirs, des signes et des lampes, et une simulation prend scène. A la campagne on allume un jeu, on sort à manger, à boire, ou tout autre instrument, et un simulacre prend vie.

A la frontière des villes comme au cœur des bourgs, cela peut parfois s’inverser.

Être con

Petit mise au point sur les cons, terme si usité de nos jours, tellement courant, qu’il nous révèlera sans doute quelque chose sur notre époque, qui si, tout le monde s’accorde là-dessus, est peuplée de cons, ne les admet que guère.
Etre con c’est ne pas savoir faire fonctionner les choses.
N’est pas con, mais un autre doit le dire, celui qui sait les faire fonctionner et se trouve parmi elles.
Peut dire ne pas l’être celui qui observe une distance avec les choses ironique, critique, analytique, spatiale… Ainsi du riche ou du professeur. Il peut même se passer de donner l’exemple, on peut ne pas le voir à l’œuvre, mais il vaut tout de même mieux qu’il sache comment les choses fonctionnent.
Statistiquement, ceux qui se coltinent les choses ont plus de chance d’être cons, ainsi la femme de ménage davantage que sa patronne bourgeoise.
Celui qui est le plus con est celui qui, sis au milieu des choses, ne sait pas les faire fonctionner, mais essayant tout de même et sans succès. D’autant plus con s’il tente un essai de compréhension du fonctionnement des choses, sur un plan cognitif, voire réflexif.
Le moins con de tous est celui qui fait croire qui sait faire croire qu’il sait les faire fonctionner et qu’il les fait effectivement fonctionner. Celui-ci, maître des mots et séducteur charismatique, n’offre pas de prise sur lui. Il est vraiment très peu con.
Etre con, par extension, c’est laisser lire, sentir et expérimenter aisément son propre fonctionnement. A l’inverse, celui-là, imprévisible, surprenant, séducteur, n’offrant pas de prise sur lui, est dit n’être pas con.
En somme, nous sommes tous cons, mais parfois personne ne le dit.
En résumé, la connerie discrimine chacun de nous dans un monde de pouvoir fonctionnant sur les êtres et les choses, un monde où les moins cons ne sont pas ceux qui s’opposent aux prises sur eux et savent tout bien faire fonctionner (Magic Prolo), mais ceux qui découvrent les ironies et les sens cachés du et des fonctionnements, et qui savent en user.
Le con n’a de pouvoir sur rien. Il est ce bruit lamentable qui butte sur les choses quand il tente de les faire marcher, ce bruit sourd et mat qui s’oublie dans le silence de la misère personnelle, ce bruit, même, d’une balle rebondissant sur un cordage serré.
Un truc mou mais persistant, rond et passablement creux. Le con perdure sur le billard du monde.
Et le plus gros con est celui qui ne fonctionne pas, insensible aux pouvoirs ambiants, sans impulsion aucune donnée par la mobilité des choses. Ce con irréductible comme le cafard des sociétés techniques et de pouvoir fonctionnel. « I would prefer not to. »
Est con, enfin et dans cette suite, ce qui, sourd, ne résonne pas. Ce qui, se suffisant à soi-même, jusque dans le vide, l’absence et le végétatif, ne fait que renvoyer son propre écho à qui le sourde. La mort, c’est con.
La lutte contre la connerie ne saurait être exterminatrice. On peut seulement la repousser. Mais au fond, la connerie, le con, con tout court, est immensément fonctionnel, qui borne le monde, notre monde, chaque autre et chacun de nous. Mais il serait con de lui donner trop de place.
 
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