mardi 27 novembre 2012

D'une anthropologie de Dieu à l'étude des jeux immunologiques

Que donnerait une anthropologie de Dieu ?

Dès qu'il y a théogonie, ce sont les puissances constitutives de l'ultime en nous, les éléments symboliques extrêmes au-delà desquels on ne peut plus rien dire, et que par commodité nous appelons "les dieux". Dieux et "Guerre des dieux" qui sont les limites de notre destin d'homme et de tout humanisme. Mais qui sont par là le domaine ultime de l'anthropologie.
Gilbert Durand, "Figures mythiques et visages de l'oeuvre", in La sortie du XXe siècle, p.208, CNRS Editions, 2008.

Et Sloterdijk, renvoyant à Wittgenstein qui demandait qu'on mette un terme au "bavardage sur l'éthique", insiste sur ce qui n'est pas du bavardage, dans un texte sur "l'anthropotechnique" qui s'inscrit dans le cadre d'une anthropologie philosophique des religions. Pour Sloterdijk, cela touche "l'exercice", soit "toute opération par laquelle la qualification de celui qui agit est stabilisée ou améliorée jusqu'à l'exécution suivante de la même opération, qu'elle soit ou non déclarée comme exercice" (Tu dois changer ta vie, Libella Maren Sell, 2011, p.15).

Il y a bon nombre de liens à établir entre les travaux de G.Durand et ce texte de P.Sloterdijk.

Ce qui est ici intéressant, c'est de faire se rejoindre une anthropologie des limites et des extrêmes (qui peuvent être toutes relatives à chacun) avec une anthropologie des exercices.

Pour aborder la question de Dieu, la solution la plus évidente a priori consiste à aller interroger les gens qui utilisent le mot de "dieu", au singulier ou au pluriel, et de chercher à comprendre quelles représentations, affects, pratiques, communications, se trament chez eux autour de ce mot, histoire de dresser une cartographie de ce qu'est "dieu", simple signifiant.

Le problème qui se pose est le signifiant lui-même. S'il légitime apparemment par son emploi le regroupement de choses très diverses alors qu'il en laisse de côté d'autres qui pourraient très bien être comprises sur le simple fait que pour ces choses-ci le terme "dieu" n'est pas usité, on peut commencer à se poser la question de la légitimité d'une telle entreprise. Surtout en terres païennes comme les nôtres.

Inversement, si l'on prenait le problème par des formes ou structures que le terme "dieu" permettrait de faire ressortir, on risque fort de se retrouver avec toute l'activité humaine à cartographier.

Mais ces problèmes proviennent sans doute d'un souci d'objectivité  qui peut lui-même être remis en cause. Pourquoi, en l'occurrence, entreprendre une recherche aussi méta-anthropologique pour ainsi dire, et se voulant ainsi autant objective, alors que ce n'est pas du tout l'interrogation qui a mené à cette recherche ? Interrogation qui est toujours celle d'un sujet situé.

L'interrogation commence avec cet emploi étrange d'un terme, "dieu", et s'emballe dès que l'on commence à mettre à la place de ce terme des réalités compréhensibles, descriptibles, analysables.

Je suppose que c'est là une manière de parer à la déception liée au fait probable que "derrière" "dieu", il n'y a pas grand-chose - ce qui était sommes toutes prévu. Mais encore que ce pas grand-chose peut être ramené pour une meilleure compréhension à des phénomènes qui n'ont rien à voir avec "dieu" (les exercices de Sloterdijk, par exemple).

En fait, l'interrogation, ou plutôt l'étonnement, est plus précise. Elle ne se contente pas d'enregistrer l'emploi étrange du terme "dieu" comme marqueur d'une limite ou d'un extrême (il les marque plus qu'il les représente). Mais c'est que les gens qui disent "dieu" utilisent volontairement ce terme qui ne semble pas dire grand-chose et s'en trouvent extrêmement satisfaits. C'est comme un jeu, au sens winnicottien disons, un play, avec soi-même, le monde, les choses. Un "dieu" qui fait peur, pareillement. C'est ce jeu qui met en jeu son "immunité", pour reprendre un terme courant chez Sloterdijk, qui est fascinant, et l'immunité de la personne comme des peuples.

Dans l'étude de ce jeu, et la cartographie qui peut s'ensuivre, sur les traces par exemple d'un Emmanuel Belin étudiant les "dispositifs techniques" ou sur celles d'un Tobie Nathan ou  d'un Latour (étudiant le labo de T.Nathan), on se retrouve en terre anthropologique qui n'accepte pas nécessairement le terme de "dieu".

D'ailleurs, c'est lorsque le terme de "dieu" n'est plus employé que cela peut commencer à devenir le plus intéressant.

L'ironie au coeur des prescriptions de santé et des devoirs de mémoire

Il en va des prescriptions en matière de prescriptions de santé publique comme des devoirs de mémoire : leur ressort est l'ironie, parce qu'elles ne prennent pas en compte leur contexte de réception, se pensant comme vérités par-delà tout contexte local forcément superficiel à leurs yeux.
C'est ainsi qu'à se croire au-dessus du temps, de l'espace et des gens, qu'il s'agisse de la Shoah comme du SIDA, les prescriptions de santé et de mémoire, qu'elles s'inscrivent très concrètement dans les représentations, techniques et communications quotidiennes (la santé) ou beaucoup moins (la mémoire), en deviennent contre-productives.
Pour être davantage efficaces, il leur faut devenir relatives, au moins dans leur forme (techniques du corps, oeuvres commémoratives, etc.). Et donc perdre leur relativité éternelle pour s'énoncer dans la communication sans en venir in fine à dire le contraire.
 
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