jeudi 30 juillet 2009

La fin de la fin

La fin (de l’art, etc.) n’est pas la fin. La fin, dire « la fin », c’est enregistrer le changement. Celui du donné spatio-temporel de quelque chose dépassant ce segment.

C’est la dire de telle manière que s’installe une dialectique entre le changement de cette chose sur ce segment c'est-à-dire finalement de ce segment lui-même (par ex. la France d’après-guerre, l’Europe chrétienne depuis le 18e s., etc.) et la fin au sens trivial, littéral, de cette chose même.

Et de telle sorte, qui plus est, que cette chose et ce segment semblent liés d’une façon structurelle, naturelle.

Telle période à telle endroit finit par péter plus haut que son cul mais justement dans un concours de pétomanes pour :

se constituer comme culture ;

faire haro sur ce qui fantasmatiquement prend fin (par ex. l’art quelle blague au moins le faire croire à ses habitants : c’était mieux avant et y a plus rien maintenant, ma p’tite dame) ;

par cet accaparement occuper une situation de domination à l’égard des autres segments (avant ou après, ici ou ailleurs) par ce qui ‘‘prend fin’’ : sur ceci partout et tout le temps, et, dans le temps présent, s’installer comme le pôle dominant, le plus influent (ceci mis en évidence par la spectacularisation de sa fin même).

Plus perversement encore, prendre en compte et en charge telle fin, c’est déjà composer l’après-fin, donc déjà se positionner pour dominer ce qui suivra, s’en révéler (encore) comme, en son temps, le lieu.

Saupoudrez cela d’un zeste de déni et de critique du Progrès et vous obtiendrez la fin de la fin : un truc tout à fait stratégique.

mercredi 29 juillet 2009

Ville et campagne ─ simulation et simulacre

Les barbecues au B. me manquent, et je repense à ce que te disais A. sur Paris, la ville qui étouffe.

Ce qui manque le plus, en ville, mais cela vient peut-être du fait de ne connaître personne, est le manque de réel sans cesse présent en dehors du vide et de l’angoisse, rarement absents.

La nature crée un sentiment du réel, qui peut amener des gens ne se connaissant pas à une relation « vraie » sans plus de détour, juste comme ça, suivant ce qui se donne.

A la ville au contraire mille détours, et on met les masques en premier et l’on ne sait pas s’en débarrasser, la convenance prend ainsi plus de place qu’il n’en paraissait.

C’est qu’en ville il faut se tenir. Ce n’est que ça, la ville. Parfois même le sentiment que toute conduite en relève, même un bourrage de gueule. Une sorte de film dont ‘‘vous êtes le héros’’. Les vertiges citadins sont ainsi très fréquents.

Ne plus arriver à se présenter, en ville, ou à tenir debout, sont des maux impérieux. A la campagne c’en sont d’autres, comme un réel qui engloutirait, sorte de sable mouvant, ou bien des moments vécus qui vont trop loin, emmenés par le contexte (des violences, des horreurs, rien n’y est impossible) sur ce chapitre la violence citadine se dit chez Haneke : tirer sur les gens pour rien, bombes qui explosent, ou simples tromperies dues à une perversité de l’image de soi.

Un relent de faux et de redoublé pèse sur la ville. L. était citadine, jouant à merveille me semblait-il sans cesse des miroirs, des symboles, des coïncidences, dans une séduction, dans une danse, perpétuelle. Jusqu’à ce que le spectacle soit fini, qu’il s’épuise ou se troue. C’est le spectacle qui tient lieu de réel, en ville. On souhaite un bon spectacle.

Les poètes écrivent à la campagne mais la culture, toujours dans la perspective de l’industrie qui en porte le nom, naît en ville. La campagne produit, demande, recèle, un autre réel, qui est de participation et de vérité : vérité des liens, des mots, des actes. Il n’y a pas de spectacle veut dire ici : pas de miroirs, d’enseignes publicitaires qui font signes, de lampadaires qui organisent l’éclairage artificiel, de nouveaux vêtements pour se donner un nouveau rôle.

Le ‘‘spectacle’’ à la campagne est sans médiation spéculaire. Participation, c'est-à-dire : ‘‘spectacle’’ des éléments mis en jeu seul. Je mets des guillemets car c’est un spectacle, mais pour nul spectateur, d’ailleurs il n’y en a pas (à moins que des participants restent en retrait, comme en ville on peut n’être, ne se sentir, que figurant) ; et ce n’est pas vécu comme spectacle.

En ville des médiations et des interactions, une société. A la campagne des instruments et des actions de groupe, une communauté.

En ville on met des miroirs, des signes et des lampes, et une simulation prend scène. A la campagne on allume un jeu, on sort à manger, à boire, ou tout autre instrument, et un simulacre prend vie.

A la frontière des villes comme au cœur des bourgs, cela peut parfois s’inverser.

Être con

Petit mise au point sur les cons, terme si usité de nos jours, tellement courant, qu’il nous révèlera sans doute quelque chose sur notre époque, qui si, tout le monde s’accorde là-dessus, est peuplée de cons, ne les admet que guère.
Etre con c’est ne pas savoir faire fonctionner les choses.
N’est pas con, mais un autre doit le dire, celui qui sait les faire fonctionner et se trouve parmi elles.
Peut dire ne pas l’être celui qui observe une distance avec les choses ironique, critique, analytique, spatiale… Ainsi du riche ou du professeur. Il peut même se passer de donner l’exemple, on peut ne pas le voir à l’œuvre, mais il vaut tout de même mieux qu’il sache comment les choses fonctionnent.
Statistiquement, ceux qui se coltinent les choses ont plus de chance d’être cons, ainsi la femme de ménage davantage que sa patronne bourgeoise.
Celui qui est le plus con est celui qui, sis au milieu des choses, ne sait pas les faire fonctionner, mais essayant tout de même et sans succès. D’autant plus con s’il tente un essai de compréhension du fonctionnement des choses, sur un plan cognitif, voire réflexif.
Le moins con de tous est celui qui fait croire qui sait faire croire qu’il sait les faire fonctionner et qu’il les fait effectivement fonctionner. Celui-ci, maître des mots et séducteur charismatique, n’offre pas de prise sur lui. Il est vraiment très peu con.
Etre con, par extension, c’est laisser lire, sentir et expérimenter aisément son propre fonctionnement. A l’inverse, celui-là, imprévisible, surprenant, séducteur, n’offrant pas de prise sur lui, est dit n’être pas con.
En somme, nous sommes tous cons, mais parfois personne ne le dit.
En résumé, la connerie discrimine chacun de nous dans un monde de pouvoir fonctionnant sur les êtres et les choses, un monde où les moins cons ne sont pas ceux qui s’opposent aux prises sur eux et savent tout bien faire fonctionner (Magic Prolo), mais ceux qui découvrent les ironies et les sens cachés du et des fonctionnements, et qui savent en user.
Le con n’a de pouvoir sur rien. Il est ce bruit lamentable qui butte sur les choses quand il tente de les faire marcher, ce bruit sourd et mat qui s’oublie dans le silence de la misère personnelle, ce bruit, même, d’une balle rebondissant sur un cordage serré.
Un truc mou mais persistant, rond et passablement creux. Le con perdure sur le billard du monde.
Et le plus gros con est celui qui ne fonctionne pas, insensible aux pouvoirs ambiants, sans impulsion aucune donnée par la mobilité des choses. Ce con irréductible comme le cafard des sociétés techniques et de pouvoir fonctionnel. « I would prefer not to. »
Est con, enfin et dans cette suite, ce qui, sourd, ne résonne pas. Ce qui, se suffisant à soi-même, jusque dans le vide, l’absence et le végétatif, ne fait que renvoyer son propre écho à qui le sourde. La mort, c’est con.
La lutte contre la connerie ne saurait être exterminatrice. On peut seulement la repousser. Mais au fond, la connerie, le con, con tout court, est immensément fonctionnel, qui borne le monde, notre monde, chaque autre et chacun de nous. Mais il serait con de lui donner trop de place.
 
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